Faire un film sur le sport est une mission très délicate. Entrer dans l'histoire du 7e art a été une opération risquée pour les cinéastes jamais récompensés au festival de Cannes par un sujet piégeux car difficile à mettre en forme par les images et le sujet. On se rappelle des "yeux dans les Bleus" une approche totalement innovante après la victoire de la France au Mondial de foot 98 emporté par la folie populaire. Ce film entrait dans l'intimité des joueurs en les sacralisant pour toujours.
Là, on plonge avec "Crois pas qu'on dort" dans l'univers de trois sportifs sur la route des Jeux Olympiques pour les deux sœurs du taekwondo et paralympiques pour Charles-Antoine Kouakou entre ces deux rendez-vous libérateur avec le titre acquis à Tokyo et son échec plombant de Paris 2024.
Un film poignant, humain, généreux où le spectateur, qu'il soit sportif ou non, entre dès la première seconde pour ces trois destins liés à une reconnaissance vers cette médaille qui ne cesse de briller dans leurs yeux. On pousse la porte du quotidien, l'envers du décor loin des clameurs de la foule là où se niche la peur, la joie mais aussi les larmes, ce doute qui prend aux tripes avec cette continuelle avancée vers le but suprême.
Un chef-d'oeuvre d'humanité
Les auteurs de ce chef-d'œuvre Lou Marillier et Nick Walters ont suivi ces trois jeunes pendant cinq ans. Une durée inédite pour se glisser dans la peau d'observateurs neutres mais pleinement investis dans leur mission de rendre cette foi en l'être humain qui a un but. Les deux sœurs, entraînées par leur père sont un bijou, rayonnantes dans leur écrin de concentration pour atteindre cette consécration qui passe par la distribution de coups de pieds et poings pour faire entendre leur différence. Le bonheur a été touché du bois et s'est écroulé sur le dernier combat menant à la qualification pour Paris 2024. Une défaite chacune dans ce scénario fabuleux et dramatique qui les aurait opposé en cas de victoire l'une contre l'autre pour déchirer avec les dents ce billet qualificatif.
Un film vivant
Pour Charles-Antoine Kouakou le premier champion paralympique du sport adapté, le cheminement est différent avec cet univers construit autour du champion de Antony 92, ses parents, sa sœur, sa vie à l'ESAT, son handicap à affronter et son mentor Vincent Clarico qui possède une place primordiale dans ce film où la caméra dévoile tout par un désir de s'approcher à juste titre sur le visage expressif de tout ce monde. On filme au plus près de l'âme avec ce don de faire entrer le spectateur médusé dans le champion. C'est un film vivant. On pousse avec les frangines, on déguste les paroles vivifiantes de Vincent Clarico celles douces et feutrées de la psy Sandrine Destouches. Rarement un film enlace les choses de manière si vivifiante.
Comment s'est fait le choix des images par milliers entassées sur cinq ans ? Un mystère que l'on ne veut pas connaître. Seule la volonté est là qui vous prend aux tripes, vous fait mal, vous amuse aussi quand CAK avoue sa passion pour les croissants du petit déjeuner sous l'œil de son entraîneur qui trouve les mots justes à chaque fois comme un éducateur rassurant encore et toujours. La scène de la finale du 400 m de Paris 2024 que nous avons vécu de l'intérieur avec la garde rapprochée de CAK est sublime d'intensité. Ces derniers mètres filmés où CAK se liquéfie, se tasse, se fait doubler par chaque concurrent est un grand moment. Dur. CAK est alors en panne d'essence. Plus rien dans le moteur. Le moteur de la caméra tourne et lui donne cette aura qui déchire chacun. Les mots à chaud de son entraîneur sont sublimes. Il n'y a pas de dialogue écrit comme entre Ventura et Dewaere. Tout vient du cœur. Et des larmes versées par le spectateur impuissant mais renversé par ces mots tendres. CAK ira une fois passé la déception légitime prendre son entraîneur dans les bras pour le réconforter, s'excuser certainement devant tout un clan venu le réconforter.
Tout passe dans ce film, enfin ce chef-d'œuvre d'humanité. Musique adéquate, suspense, cette caméra jamais intrusive mais juste là où il faut sans perdre une miette de ce combat contre la déficience mentale qui n'en est pas une tellement le champion parisien porte des vraies valeurs dictées par une vision positive et constructive de sa vie. Ce film est une juste une manière différente de voir la vie, de comprendre l'autre, peut-être différent mais qui en fin de compte est un véritable guide pour vivre ses rêves à travers son chemin tracé.
Pascal Pioppi